Exposition “Sonates et autres scènes” de Bernard Michel
Dans cet accrochage des peintures et dessins de Bernard Michel, l’on pourra apprécier, à travers différentes séries allant des années 1990 à aujourd’hui, la cohérence créative de son travail.
L’exposition ouvre avec une série de peintures datant de 1990 : les Lois. Ces pièces sont en relief et peintes à l’huile. On y découvre un espace tramé, rigoureux et sensuel, qui se développe de façon répétitive de toiles en toiles. Ce sont des tablettes ouvertes où l’écriture peut se poser à l’instar des tablettes en terre cuite de l’art sumérien, ce sont aussi des tables de la Loi.
Plusieurs tableaux de cette série sont accrochés dans les Salons de l’Assemblée nationale à Paris.
La série Point-Ligne-Plan, de 2003, est un hommage à une lignée d’artistes : Kandinsky, Klee et Miro notamment. Des points ou pixels de couleur s’étendent progressivement sur la toile et forment des lignes qui se mélangent, s’enchevêtrent et composent des plans contrastés. Ces tableaux s’articulent à partir du mouvement même de la peinture, en perpétuelle évolution comme l’artiste aime à penser son travail.
Point-Ligne-Plan trouvera un spectaculaire aboutissement dans le film projeté pour la chorégraphie du ballet « Lolita », inspiré du roman de Vladimir Nabokov, donné au Bâtiment des Forces Motrices à Genève en 2003. Ici, les recherches personnelles de l’artiste viendront influencer et prendre corps dans son travail scénique.
Avec Les Fonds Noirs de 2008, la couleur s’impose. L’artiste semble défier les lois d’harmonie et de goût en faisant coexister les coloris les plus intenses ; sur la toile qu’il manipule, il laisse les couleurs prendre leur rythme propre selon les lois de l’apesanteur ; ce sont des éclats colorés qui viennent percuter et dynamiser le fond noir de la toile de jute.
Sur une composition musicale d’Arvo Pärt naît, en 2014, la série Sonates où le noir vient ponctuer et interrompre de manière aléatoire l’organisation harmonique de la couleur.
Les Meules : cette série a été peinte à la gouache sur un drap de lin très fin pendant les moissons de l’été 2016. Bernard Michel choisit, cette fois, de peindre dans les champs sur le motif. Pourtant il utilise la meule comme une abstraction – un cercle – dans lequel tournent les segments de paille compressés et colorés. Ce sont des « Tondi » qui font écho au cosmos comme au monde cellulaire et scientifique et, bien entendu, aux meules que Claude Monet peignit à différentes heures de la journée.
Bernard Michel commence en 2018 une série de collages ininterrompue à ce jour : les Archéologies. À partir de morceaux de toiles, papiers divers, photos, tissus qu’il affectionne, collectionne et qui se sont accumulés dans son atelier, il coupe, colle, superpose, entrecroise ces morceaux de mémoire et revisite son histoire d’artiste. Ainsi, il rend hommage au peintre, Gilles Aillaud, avec lequel il tissa pendant 25 ans des liens d’amitié et de travail, en introduisant dans quelques collages des photos d’animaux prises lors de leurs visites au zoo.
Après le premier confinement s’ouvre une nouvelle série. De grandes tiges de graminées viennent envahir les toiles ; l’artiste se sert de ces tiges/lignes pour construire de nouvelles trames plus souples, plus vibrantes dans lesquelles il introduit des éléments blessants ; avec les tiges piquantes des rosiers, il tresse des couronnes ; il place, cache parmi cette végétation abstraite des clous, des piques et des chaînes : ces symboles inquiétants, violents – nouveaux dans l’œuvre de Bernard Michel – percutent et accentuent le caractère fragile de la Nature comme celui de notre nature humaine. Cette série en cours, il la nomme : Les Passions.
A cent mètres du centre du monde. Bernard Michel y a été conduit par Eduardo Arroyo.
Depuis 1989 date de la représentation de La mort de Danton, la pièce de Georg Büchner dans la mise en scène de Klaus Michaël Grüber au théâtre des Amandiers de Nanterre, Arroyo -figure de proue de la Figuration narrative- et Bernard Michel -peintre de l’abstraction- avaient assez de divergences et de points communs pour devenir des partenaires-scénographes attentifs et complices.
Dans ce drame à l’ambiance nocturne, l’éclairage structurait le déroulement du jeu; au fond de la scène la grille de fer, le rouge et le bleu des grands lés de tissu créaient une ambiance inquiétante. Un décor que l’on devait à trois artistes: Eduardo Arroyo, Gilles Aillaud et Bernard Michel.
Un trio, parfois ramené à un duo, dont la créativité se renouvela pendant des années aussi bien au théâtre qu’à l’opéra, une équipe soudée par la personnalité de Klaus Michaël Grüber qui laissait ses partenaires s’emparer de l’espace, des lumières, parlait avec eux, ou plutôt les écoutait sans jamais chercher à les influencer. Cette collaboration fertile a été à l’origine de décors mémorables et a donné naissance à des liens pérennes construits par l’admiration et l’amitié.
Eduardo Arroyo était aussi, on le sait moins, un grand collectionneur du travail de ses confrères et amis. Il avait montré une partie de sa collection à «Casa del Lector – Matadero» à Madrid dans une exposition intitulée La oficina de San Jerónimo. Bernard Michel était présent, bien sûr, avec une superbe toile de la série des Fonds noirs. Arroyo en avait aimé la tension chromatique et s’était particulièrement attaché au noir, cette couleur vers laquelle lui-même était allé avec l’intention de « baisser » l’intensité de sa propre palette.
Arroyo avait compris la singularité de la démarche de Bernard Michel, si fortement inscrite dans une réflexion sur la lumière, la couleur et le motif, dont il pouvait penser qu’elle avait été nourrie par son enfance marocaine.
C’est à la galerie Pierre Brullé rue de Tournon à Paris, l’ancien fief de Karl Flinker, où Bernard Michel exposa à plusieurs reprises, qu’Arroyo pu découvrir la richesse de ses propositions plastiques, un travail où le même et le différent se conjuguent, se répondent sans cesse, constituant une œuvre en continuel renouvellement.
Arroyo, dont le centre d’art contemporain exposait durant l’été 2020 son Agneau mystique, aurait éprouvé une profonde émotion en découvrant cet ensemble réuni pour la première fois, ici à Perpignan. Le pouvoir suggestif des dernières séries, celles qu’il n’a pas connues, aurait mêlé en lui mélancolie et énergie vitale.
Fabienne Di Rocco
Centre d'Art A Centre Mètre du Centre du Monde
3, avenue de Grande Bretagne, 66000 Perpignan
Renseignement : contact@acmcm.fr - 04 68 34 14 35
Ouverture du mardi au dimanche de 15h00 à 19h00